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Pièce nº Rey17731012a

Type Lettre
Identifiant Rey17731012a
Date de composition 1773-10-12
Certitude sur la date haute
Date de réception /
Expéditeur Rey, Marc Michel
Destinataire Éon, Charles de Beaumont d’
Lieu d'envoi Amsterdam
Lieu de réception Londres
Adresse /
Lieu de conservation Tonnerre, Médiathèque Ernest Cœurderoy
Cote T31
Cote (copie) /
Imprimé /
Edition /
Autographe oui
Signature oui
Renvois /
Incipit J’ay l’honneur de la votre, Monsieur, du 8 courant
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À Amsterdam le 12e Octobre 1773

R. le 18.9bre

J'ay l'honneur de la votre, Monsieur, du 8 courrent1. Les 12 volumes sont terminés2.

On est occupés à la table qui fait le 13eme il y en a 3 feuilles de faite, je presse le plus que je puis afin de terminer le plutot possible3.

Je n'ay point de nouvelles d'Esmsly 4, Becket 5, Boudet 6, dans la 8ne je compte avoir un feuillet imprimé qui contiendra en abrégé le contenu des 12 volumes7 et pour lors j'écrirai à ces Messieurs s'ils veulent entrer en marché.

Il n'y a plus rien à faire pour la Russie jusques en Avril ou May 1774 j'en dis autant pour la Pologne, la navigation a cessé8. Si vous y avés de bonnes adresses je vous serai obligé de me les donner je connois à Saint PetersbourgWeitbrech libraire9, je ne connois personne en Pologne10.

À Berlin je fait des affaires avec Jasperd 11 et Bourdeaux 12 mais c'est une misaire que ce qu'ils tirent.

[2] 300 florins pour chacun cet a peu près tout ce qu'ils tirent dans le courrent de l'année.

La France est le pays où je dois les placer13, si Mr Boudet veut s'arranger pour le royaume je n'en fournirai qu'à lui et je les enverrai aux adresses qu'il m'indiquera et s'il en prend un nombre un peu considérable je les lui passerai à bon prix.

Je vous ferai parvenir vos exemplaires14, Monsieur, aussi tot que l'ouvrage sera terminé et si je puis en faire passer quelques exemplaires en France j'y ajouterai les 3 exemplaires pour les personnes que vous m'indiqués. Les deux extraits de lettres que vous voudriés que je fasse imprimer comme Avertissement me paroissent assé inutile15, il faudroit y changer quelques mots. Je ne crois pas qu'il y ait du patriotisme16 dans le particulier qui habite un pays gouverné par le despotisme17.

[3] Je puis, Monsieur, vous mander dans le particulier ce qui n'est pas nécessaire que j'imprime telle cet la phrase «la façon cruelle avec laquelle on vous a récompensé devroit pour toûjours vous guérir de la maladie du pays18. »

Je dessent de françois19, mais je ne suis pas né dans le royaume et l'on pourroit me prendre pour françois.

Si vous avés quelqu'avis à mettre on peut le faire encore à la tête du tome 13 mais je ne vois pas la nécessité de faire voir au  pub  public qu'il trouvera moins qu'il n'avoit lieu d'attendre.

Je dois etre envisagé tout simplement comme l'imprimeur20.

Après ces petites observations si vous voulés que j'imprime les deux extraits tels que vous me les avés envoyé je le ferai, ne cherchant qu'à vous prouver la parfaite consideration avec laquelle j'ay l'honneur d'etre Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur.

Rey

[4] Des courses hor de ville pour affaires indispensables21 m'ont obligé d'abandonner le courrent, je m'aperçois, Monsieur, mais un peu tard que la presente est restée en arriere, je vous en fait mes excuses; j'en suis à la XIe feuille de la table générale22, j'ay l'honneur d'etre tout à vous.

Rey le 9 novembre 177323

Je n'ay point de nouvelles de Becket, ni de Boudet 24, Elmsly 25 n'en veut pas prendre, je lui en enverrai cependant en commission.

Voyés, Monsieur, si vous pourriés engager Becket à en prendre 2 ou 300 je les lui laisserois à £1: 5 schiling et il les vendroit 2 Guinées.

La table sera terminée dans 3 semaines; je voudrois fort qu'un libraire à Londres en prit un nombre, j'accorderai du crédit s'il le faut, et je ferois presque le voyage de Londres, si je voyois possibilité à en écouler un nombre26; si vous pouvés, Monsieur, m'obliger en cela je vous prie de le faire.

Notes

1 Cette lettre ne nous est pas parvenue.

2 Les Loisirs se composent de douze volumes de texte et d'un volume de tables qui constitue le volume XIII.

3 L'impression des Loisirs traîne en longueur depuis 1771 entrainant pour Rey de graves difficultés financières. Voir à ce sujet, le contrat du 28 septembre 1771 entre Éon et Rey (Rey17710828b).

4 Peter Elmsley (1736-1802) libraire à Londres, voir Rey17730818.

5 Thomas Becket (17..-1817) libraire à Londres, il a travaillé avant 1760 pour Andrew Millar, puis de 1760 à 1776, en association avec Peter Abraham de Hondt pour pour près de 500 ouvrages, comme le montre entre autres l'édition commune réalisée avec Rey en 1760 du Traité anatomique de la chenille qui ronge le bois de saule de Pierre Lyonet (Aux depends de l'auteur. A La Haye. Se vend chez Pierre De Hondt, à La Haye, Marc Michel Rey, à Amsterdam. Th. Becket &; P. A. De Hondt, dans le Strand, à Londres. 1760, 4°). En 1770, Becket et de Hondt sont associés pour l’édition in 8° des deux volumes des Loisirs, imprimés à Londres. Becket est en procès avec le chevalier d’Éon à propos de cette édition (voir Rey17731012a). Grand importateur d’ouvrages français, en faillite à partir de 1779, il devient libraire du prince de Galles (177.-1817) avant de s'associer à la fin de sa carrière à John Porter qui lui succède après 1815.

6 Antoine-Chrétien Boudet (1715-1787), né à Lyon, fils du libraire Antoine Boudet qui meurt en 1719. Sa mère épouse en secondes noces le parisien Jean Baptiste III Coignard, imprimeur ordinaire du Roi et de l'Académie depuis 1717, ce qui amène Antoine Chrétien à Paris où il devient libraire le 16 février 1734 puis est reçu imprimeur le 29 décembre 1742. Cette même année, Boudet s’associe à son beau-frère P.G. Le Mercier, rue Saint-Jacques, « Au livre d'or. ». Boudet fait fortune avec les Affiches de Paris puis Affiches de Paris, Avis divers, sorte de recueil bihebdomadaire d’annonces juridiques, administratives et commerciales qu'il fait paraître du 22 février 1745 au 3 mai 1751 en 7 vol. in 8°. À côté de cette publication tolérée, Boudet se livre à la diffusion de nouvelles à la main, d’ouvrages interdits et même du périodique janséniste les Nouvelles ecclésiastiques. Découvert, il est arrêté le 7 février 1747 et conduit à la Bastille où il restera au moins jusqu’à la fin de l’année. Le 26 mars 1751, il obtient un privilège général pour le Journal œconomique ou Mémoires, notes et avis sur les arts, l'agriculture et le commerce. Le premier volume paraît avec la date de janvier jusqu'en 1772. L’inspecteur de la librairie d’Hémery le dépeint ainsi dans son Journal de la librairie (BnF, Mss fr. 22038 et 22156-22165) : « C’est un petit finot qui entend bien sa partie et qui est un peu suspect. Il a inventé les Petites Affiches qui lui rapportaient beaucoup mais que le chevalier de Meslé lui a enlevées par le crédit de madame de Pompadour. Depuis ce temps, il a inventé le Journal œconomique ». Sur A. Boudet, on peut consulter l’article de René Favre, dans le Dictionnaire des journalistes (http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/095-antoine-boudetarticle en ligne), sur le Journal économique, voir Arnaud Orain, « Le Journal œconomique, le cercle de Gournay et le pouvoir monarchique : quelques preuves matérielles d'un lien organique », dans Dix-huitième siècle, vol. 45, no. 1, 2013, p. 565-583.

7 Ce feuillet descriptif est joint à cette lettre.

8 La navigation entre Amsterdam et la Russie, essentiellement Saint-Pétersbourg, subit les contraintes hivernales quand les ports sont inaccessibles et fermés; voir P. Pourchasse, « Les routes du commerce international dans le nord de l'Europe (années 1680-années 1780) » dans Les Circulations internationales en Europe, années 1680-années 1780, sous la dir. de P. Y. Beaurepaire et P. Pourchasse (Rennes, P.U.R., 2010), p. 137-149.

9 Johann Jacob Weitbrecht, libraire d'origine allemande à la Cour Impériale à Saint-Pétersbourg, voir Vladimir A. Somov, « La librairie française en Russie au XVIIIe siècle », dans Est-Ouest: Transferts et réceptions dans le monde du livre en Europe (XVIIe–XXe siècles), éd. par F. Barbier (Leipzig, Leipziger universitätsverlag, 2005), p.89 à 108. Vladislav Rjéoutski, « La Librairie française en émigration: le cas de la Russie (2e moitié XVIIIe-début XIXe s.) » dans les actes du colloque La Prosopographie des hommes du livre, sous la direction de Frédéric Barbier (ENSSIB, Centre de Recherche en Histoire du Livre, 2005), article en ligne sur le site de l'Enssib : « À Saint-Pétersbourg, les librairies à l'européenne, proposant un nombre de livres important venant de différents éditeurs, n'apparaissent que dans les années 1770. Avant cela, les librairies n'existent qu'auprès des typographies des établissements d'État et vendent surtout leurs propres éditions. Le plus grand centre d'édition et de commerce du livre est alors l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. » ; et du même, « De Strasbourg à la Russie : histoire d'une émigration (XVIIIe siècle et début du XIXe siècle) » dans la Revue russe, n°35, 2011, p. 70 : « Les premiers libraires étrangers apparaissant à Saint-Pétersbourg sont d'origine allemande et sont souvent d'importants libraires liés à l'Académie des sciences, comme Weitbrecht, qui a des commissionnaires dans toutes les grandes capitales européennes. »

10 La librairie en Pologne souffre d’un réseau médiocre de libraires alors que son territoire est morcelé par un premier partage en 1772, voir Dictionnaire encyclopédique du livre, Paris, Ed. du cercle de la librairie, 2005, art. Europe centrale et orientale, histoire du livre et de l’édition, s. v. Dans sa lettre du 3 décembre 1773, Rey mentionne cependant Jan August Poser l’un des libraires et éditeurs les plus en vue à Varsovie qu’il traite de « coquin » et avec lequel il ne veut pas faire affaire (Rey17731203).

11 Jean Jasperd, libraire à Berlin. Rey mentionne Jasperd dans sa correspondance avec J.J. Rousseau dès 1760 (Voir Rey17600907).

12 Étienne de Bourdeaux, « libraire françois », s'installe en 1736 à La Haye où il travaille pour le libraire Jean II Neaulme, s'établit ensuite à Berlin de 1743 à 1749 avec Neaulme puis se met à son compte et devient libraire du roi de Prusse. À partir de 1777 il travaille en association avec son fils Pierre (de) Bourdeaux, qui exercera seul à partir de 1786 environ. Rey mentionne Bourdeaux dans sa correspondance avec J.H.S. Formey dès 1754 (Voir Rey17540118).

13 Rey a conscience que le débouché commercial des Loisirs reste la France.

14 Voir les termes du contrat du 28 septembre 1771 entre Éon et Rey (Rey17710928b).

15 Dans les exemplaires que nous avons consultés, l'Avertissement [de l'éditeur] ne figure pas. Rey paraît réticent et le projet a dû être abandonné.

16 Le mot « patriotisme », qui fait réagir Rey, devait figurer dans un des extraits proposés par Éon. Éon se présentait déjà implicitement comme « patriote » en butte à l’indifférence du public dans la lettre du 10 août 1773 (Rey17730810). Pour l’Encyclopédie, le patriote est « celui qui dans un gouvernement libre chérit sa patrie et met son bonheur et sa gloire à la secourir avec zèle suivant ses moyens et ses facultés » (Jaucourt, vol. XII, 1765). Il n’est pas impossible en outre que Rey pense à l’ouvrage d’Antoine Court, pasteur protestant réfugié à Lausanne de 1729 à sa mort en 1760, Le Patriote français et impartial (1751) dont il a sans doute contribué à la diffusion en Hollande (voir Rey17511130). Dans cet ouvrage, Antoine Court adopte le point de vue d’un catholique français, « patriote et impartial » pour défendre la tolérance. Voir sur ce texte, Le Patriote français et impartial, éd. Otto H. Selles (Paris, Honoré Champion, 2002).

17 Si le mot « despotisme » existait, notamment sous la plume de La Bruyère ou de Bayle, le despotisme comme mode de gouvernement est un concept récent en 1773, il a été défini par Montesquieu dans De L’Esprit des lois (1748). Pour Bertrand Binoche, « […] Montesquieu inventa le concept de despotisme ». On peut penser que l’emploi de ce terme pour désigner la monarchie française, qui fit polémique après la publication de L’Esprit des Lois, n’est pas le fruit du hasard de la part de Rey, très critique vis-à-vis de la France et qui a publié la Suite de la défense de l’Esprit des lois de La Beaumelle en 1751 sous une fausse adresse. En affirmant qu’il n’y a pas de patriotisme dans un pays gouverné par le despotisme, Rey s’inscrit également dans la perspective de Montesquieu. Sur le « concept » de despotisme et la réception du terme, voir la synthèse de Bertrand Binoche, « Despotisme », dans Dictionnaire Montesquieu [http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1367168359/fr/en ligne], sous la direction de Catherine Volpilhac-Auger, ENS de Lyon, septembre 2013.)

18 Cette phrase figure dans le résumé de la lettre du 18 août 1773 (Rey17730818a).

19 Marc Michel Rey est né à Genève le 5 mai 1720. Comme il le mentionne ici, ses parents Isaac Rey et Maguerite Du Seigneur sont français, originaires de Treschenu-Creyers dans le Diois. La famille Rey-Du Seigneur s'est installée à Genève en 1715. Sur la généalogie des Rey, voir l’article de F. Vial-Bonacci, « « Je dessent de françois » : petite généalogie de la famille de Marc Michel Rey. », https://mmrey.hypotheses.org/890, en ligne.

20 Le nom de Rey ne figure pas au titre en tant qu'éditeur.

21 La correspondance conservée ne nous renseigne pas sur ces « affaires indispensables » hors de la ville d'Amsterdam. On sait en revanche, que Rey est en conflit avec son fils Isaac qui s'est méconduit et qui a trouvé refuge chez Pierre Gosse à La Haye. Rey ordonne à son fils de « passer à Demerary » (Rey17730715), c'est-à-dire de s'installer au Suriname, ce que fera Isaac Rey qui ne reverra jamais son père. Ce sont peut-être des tractations pour l'installation d'Isaac au Suriname qui conduisent Rey à s'éloigner d'Amsterdam et à négliger son commerce.

22 On constate ici que Rey a imprimé, en un peu moins d'un mois, huit feuilles du volume XIII, puisqu'au début de la lettre, le 12 octobre 1773, il mentionne qu'il y a « 3 feuilles de faite », ce qui correspond à l’impression de 2 feuilles par semaine.

23 La lettre est expédiée après le 9 novembre 1773; elle est restée « en arrière » près d'un mois.

24 Ni le libraire londonien Thomas Becket, ni Antoine-Chrétien Boudet installé à Paris n'a donné de réponse à la demande de Rey de distribuer les Loisirs.

25 Le libraire londonien Peter Elmsley a lui répondu par la négative. On voit que Rey déploie out son réseau international pour diffuser les Loisirs.

26 Rey est prêt à se rendre à Londres pour négocier directement la diffusion des Loisirs. Cet acharnement apparaît tout à fait exceptionnel dans la correspondance conservée.